Oui, Gérald Bronner, ce nom résonne dans les cercles académiques et intellectuels. Sociologue, professeur à l’Université Paris-Diderot, il a scruté les arcanes de la pensée collective, décortiqué les mécanismes de la croyance, et dévoilé les fragilités de nos esprits. Ses travaux ont éclairé les dérives sectaires, les théories du complot, et les biais cognitifs qui nous égarent. Alors, quand un homme de sa trempe se risque à l’exercice de l’écriture personnelle, c’est une surprise. Exorcisme, publié cette année en 2024, nous plonge dans les méandres de son expérience, entre analyse sociologique et confession intime. Loin des analyses distanciées dont il a l’habitude, ce livre nous plonge dans son adolescence mystique et sa fascination pour l’ésotérisme.
Le sujet du livre est donc l’itinéraire spirituel de Bronner, qui, entre 15 et 25 ans, s’est converti à un syncrétisme de croyances new age, allant jusqu’à fonder un mouvement apocalyptique à Nancy. On est surpris, étonné, curieux, amusé puis abasourdi voire franchement incrédule d’imaginer une bande de jeunes ados et adultes se convaincre mutuellement et sincèrement que Nancy est le centre du monde, que des symboles mystiques sont disséminés dans toute la ville, que des créatures étranges y rôdent.
Et pourtant on n’y croit jamais vraiment tout à fait. On ne sent pas la fièvre des réunions, des veillées jusqu’à pas d’heure, des sorties nocturnes. Tout cela paraît terrible distancé, manquant d’incarantion. C’est là que réside le principal défaut d’ « Exorcisme ». Bronner oscille constamment entre l’autobiographie et l’analyse sociologique, sans jamais vraiment s’engager dans l’une ou l’autre. On reste sur sa faim concernant ses motivations profondes, la nature de ses croyances et l’emprise qu’elles avaient sur lui.
De plus, l’auteur use d’un style souvent allusif, laissant le lecteur dans le flou sur des points importants. On aurait aimé une introspection plus fouillée, une véritable mise à nu de ses convictions passées.
Cependant, le métier de sociologue de Bronner ne l’abandonne jamais complètement. Ses observations sur les mécanismes de manipulation et d’emprise sectaire sont fines et pertinentes. Les passages sur son expérience à Grenoble, où il a expérimenté la précarité étudiante, l’éloignement et l’isolement, une histoire sentimentale bien bancale, mais aussi fait ses premiers pas dans le militantisme et la vie politique par le biais du syndicalisme étudiant, sont fort réussis.
Un autre point fort du livre réside dans la galerie de personnages fascinants que l’auteur croise sur son chemin. De Nahil, gourou charismatique, à Christian, figure christique tragique, Bronner nous offre un portrait saisissant de la complexité de l’âme humaine. Là aussi, il y a un goût de trop peu. On aurait aimé sentir vraiment le charisme de Nahil, ou la force vitale de Christian.
En fin de compte, « Exorcisme » est un livre étrange, presque plus intéressant lorsqu’on en entend l’auteur en parler dans des interviews (comme dans les Matins de France Culture) que lorsqu’on le lit. On a l’impression d’avoir affaire à deux livres distincts : un récit personnel poignant et une analyse sociologique pertinente. Dommage que Bronner n’ait pas réussi à les fusionner en un seul ouvrage cohérent et captivant.