Spirou n’est pas n’importe quel héros de bandes dessinée. C’est l’incarnation même du style dit « franco-belge », avec son trait, ses héros charismatiques, sa fantaisie (Zorglub, le Marsupilami), son goût des séries longues…et sa déconnection quasi totale des enjeux historiques et politiques.
C’est pourquoi la version du Spirou d’Emile Bravo, en 4 tomes (excusez du peu), était une vraie nouveauté pour ce personnage, qu’on allait retrouver plongé dans les affres de la seconde guerre mondiale en Belgique. C’est aussi une vraie réussite, d’abord graphique, avec un style à la fois fidèle au genre, un peu daté, des couleurs sombres et superbes, des planches très travaillées, des détails un peu partout (essayez de trouver l’écureuil Spip sur toutes les cases !). L’objet album lui-même est superbe, avec son format géant, sa reliure bordeaux, son côté nostalgique de qualité.
Quant à l’histoire elle-même, elle impressionne par la quantité d’enjeux et de contexte que Bravo y incorpore. Voir la seconde guerre par les yeux d’un orphelin ado, qui découvre peu à peu les différents aspects du conflit, les enjeux politiques, la vie dans un pays occupé, les dilemmes moraux d’une situation de guerre, la position de l’Eglise; est à la fois évident et éclairant. Et tout cela est fait assez subtilement, par petites touches, presque l’air de rien; et l’on se dit que pour un « jeune adulte » c’est une lecture nuancée et fine qu’on recommanderait chaudement.
Pour un « vieil adulte » il y a quelques points d’achoppements qui coincent un peu quand même. Certains passages prétendument comiques tombent à plat (le méchant Entresol à l’hôtel de Spirou; les considérations sur le peintre allemand Felix…); et surtout le personnage de Fantasio semble, au moins dans ce tome, d’une grave inconsistance. Il n’est en rien sympathique, plutôt veule, lâche, intéressé, naïf pour ne pas dire stupide; et l’on se demande vraiment pourquoi il est l’ami de Spirou. Je sais bien que Fantasio est censé être gaffeur, malchanceux et comme son nom l’indique fantaisiste voire loufoque, mais on peine à lui voir des côtés positifs dans ce tome.
Néanmoins, au final, Emile Bravo emporte évidemment l’adhésion avec cette relecture riche et complexe d’un personnage fétiche de la BD, à qui il apporte une réelle gravité, tout en respectant son style et son histoire. Une œuvre ambitieuse, dont le 4ème volume ne saurait tarder…