Archives de Catégorie: Littératures

Amok, mon père : le voyage intime de Gurvan Kristanadjaja

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Amok mon père, le premier roman de Gurvan Kristanadjaja, nous plonge dans une histoire familiale aussi singulière qu’universelle. Né en Allemagne d’une mère bretonne et d’un père indonésien, l’auteur nous livre le récit de ses drôles de retrouvailles avec son père, qui avait quitté sa famille en 1995.

Le thème abordé est à la fois commun et exceptionnel. Commun, car il s’agit de l’histoire d’un homme qui part ; exceptionnel, car, comme le dit l’auteur, se marier avec un Indonésien à Brest dans les années 90, c’était comme épouser un extraterrestre.

L’attachement que l’on ressent pour ce livre provient de multiples facettes : le style narratif, la structure de l’œuvre, l’approche personnelle de l’auteur, la richesse des personnages et les réflexions profondes qu’il suscite.

Le style de Kristanadjaja, bien que façonné par son expérience journalistique, est empreint d’une élégance naturelle. La narration est fluide, l’expression est précise, enrichie par un souci du détail, un talent pour le dialogue percutant et des descriptions particulièrement vivantes de l’Indonésie.

La structure du récit est astucieuse, alternant entre différentes époques qui s’éclairent mutuellement, offrant ainsi une vraie progression de l’intrigue et une compréhension approfondie des événements; il faut bien avouer que les péripéties du séjour indonésien de l’auteur sont nombreuses et plaisantes.

L’attitude de l’auteur, celle d’un fils à la fois rebelle et en quête de son père, oscille entre audace et hésitation. Nous découvrons l’auteur à divers moments de sa vie, confronté à des interrogations changeantes et à des perspectives variées sur sa relation avec son père.

La galerie de personnages est à la fois paradoxale et attachante. Paradoxale, car on peine à croire que l’auteur puisse inventer des histoires sur sa propre famille, et pourtant, chaque personnage, avec son caractère bien trempé, nous devient cher : une mère courageuse au grand cœur, un frère aîné très proche, une grand-mère prête à sacrifier un voyage tant attendu, une tante énigmatique et complice, un cousin artiste et rebelle. Quant à Dani, le père, il reste difficile à cerner et à comprendre, tout comme pour son fils, jusqu’à une conclusion aussi sévère qu’inattendue.

En toile de fond, la question de l’identité métisse, la relation avec les deux cultures, est abordée avec finesse tout au long du récit. L’auteur partage également son évolution personnelle sur ces thèmes, conférant au livre une dimension initiatique des plus agréables.

En somme, malgré quelques petites maladresses stylistiques, Gurvan Kristanadjaja nous offre un récit touchant, empreint de pudeur et de simplicité, qui transcende le cadre personnel pour embrasser des questions plus larges avec une grande finesse ; du très beau travail.

« Exorcisme » : l’étrange voyage entre démons et doute de Gérald Bronner.

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Oui, Gérald Bronner, ce nom résonne dans les cercles académiques et intellectuels. Sociologue, professeur à l’Université Paris-Diderot, il a scruté les arcanes de la pensée collective, décortiqué les mécanismes de la croyance, et dévoilé les fragilités de nos esprits. Ses travaux ont éclairé les dérives sectaires, les théories du complot, et les biais cognitifs qui nous égarent. Alors, quand un homme de sa trempe se risque à l’exercice de l’écriture personnelle, c’est une surprise. Exorcisme, publié cette année en 2024, nous plonge dans les méandres de son expérience, entre analyse sociologique et confession intime. Loin des analyses distanciées dont il a l’habitude, ce livre nous plonge dans son adolescence mystique et sa fascination pour l’ésotérisme.

Le sujet du livre est donc l’itinéraire spirituel de Bronner, qui, entre 15 et 25 ans, s’est converti à un syncrétisme de croyances new age, allant jusqu’à fonder un mouvement apocalyptique à Nancy. On est surpris, étonné, curieux, amusé puis abasourdi voire franchement incrédule d’imaginer une bande de jeunes ados et adultes se convaincre mutuellement et sincèrement que Nancy est le centre du monde, que des symboles mystiques sont disséminés dans toute la ville, que des créatures étranges y rôdent.

Et pourtant on n’y croit jamais vraiment tout à fait. On ne sent pas la fièvre des réunions, des veillées jusqu’à pas d’heure, des sorties nocturnes. Tout cela paraît terrible distancé, manquant d’incarantion. C’est là que réside le principal défaut d’ « Exorcisme ». Bronner oscille constamment entre l’autobiographie et l’analyse sociologique, sans jamais vraiment s’engager dans l’une ou l’autre. On reste sur sa faim concernant ses motivations profondes, la nature de ses croyances et l’emprise qu’elles avaient sur lui.

De plus, l’auteur use d’un style souvent allusif, laissant le lecteur dans le flou sur des points importants. On aurait aimé une introspection plus fouillée, une véritable mise à nu de ses convictions passées.

Cependant, le métier de sociologue de Bronner ne l’abandonne jamais complètement. Ses observations sur les mécanismes de manipulation et d’emprise sectaire sont fines et pertinentes. Les passages sur son expérience à Grenoble, où il a expérimenté la précarité étudiante, l’éloignement et l’isolement, une histoire sentimentale bien bancale, mais aussi fait ses premiers pas dans le militantisme et la vie politique par le biais du syndicalisme étudiant, sont fort réussis.

Un autre point fort du livre réside dans la galerie de personnages fascinants que l’auteur croise sur son chemin. De Nahil, gourou charismatique, à Christian, figure christique tragique, Bronner nous offre un portrait saisissant de la complexité de l’âme humaine. Là aussi, il y a un goût de trop peu. On aurait aimé sentir vraiment le charisme de Nahil, ou la force vitale de Christian.

En fin de compte, « Exorcisme » est un livre étrange, presque plus intéressant lorsqu’on en entend l’auteur en parler dans des interviews (comme dans les Matins de France Culture) que lorsqu’on le lit. On a l’impression d’avoir affaire à deux livres distincts : un récit personnel poignant et une analyse sociologique pertinente. Dommage que Bronner n’ait pas réussi à les fusionner en un seul ouvrage cohérent et captivant.

Water : John Boyne explore les tourments d’une âme dans une Irlande impitoyable

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John Boyne, auteur irlandais à succès, s’est fait connaître avec des romans tels que « Le garçon au pyjama rayé » et « Les furies invisibles du coeur ». Son talent de conteur et sa capacité à aborder des sujets sensibles lui ont valu une large reconnaissance. Dans son dernier roman, « Water » (non encore traduit en français), Boyne nous emmène sur une île isolée au large de l’Irlande, où se réfugie Vanessa Carvin, une femme brisée par le scandale et la culpabilité. Fuyant son passé et les accusations qui pèsent sur elle, elle se renomme Willow Hale et tente de se reconstruire une vie solitaire.

Le personnage principal, complexe et imparfait, n’est pas exempt de défauts. Willow est une femme qui a commis des erreurs et qui doit vivre avec les conséquences de ses actes. Sa culpabilité la ronge et l’empêche de trouver la paix intérieure. Au fil du roman, elle tente de se racheter une conduite et de retrouver un sens à sa vie. Mais son combat est intimement lié à l’Irlande qu’elle a quittée. Boyne dresse un portrait sans concession de son pays natal, une société rongée par le conservatisme, l’hypocrisie et le poids de la religion – comme à son habitude à vrai dire.

L’intrigue minimaliste est captivante. Il se passe peu de choses sur l’île, mais on est happé par le récit de Willow et par son combat intérieur. Boyne excelle à décrire les émotions de son personnage et à créer une atmosphère pesante et oppressante. L’isolement de Willow sur l’île est à la fois une métaphore de son état psychologique et un reflet de l’enfermement que peut représenter la société irlandaise.

Le style de Boyne est fluide et précis. Il utilise les mots justes pour décrire les émotions de ses personnages et pour créer une atmosphère immersive. Son écriture est simple et accessible, ce qui rend son roman accessible à un large public.

« Water » est un roman imparfait mais fascinant. On peut lui reprocher quelques longueurs et répétitions. De plus, la cohérence de l’histoire peut parfois être remise en question. Malgré ses défauts, « Water » est un roman captivant qui nous invite à réfléchir sur la nature humaine, sur le pouvoir de la rédemption et sur les carcans d’une société irlandaise impitoyable. On attend avec impatience la suite de la série, « Earth », qui promet d’être tout aussi intense et bouleversante.

En plus de l’analyse sociale et politique de l’Irlande, « Water » développe des thèmes chers à John Boyne, tels que l’émancipation personnelle et la recherche de la liberté. Le personnage de Willow est une figure tragique, mais elle est aussi un symbole de la résistance face à l’oppression.

Un arrière-plan inquiétant et noir traverse tout le livre. L’île sur laquelle se réfugie Willow est un lieu hostile et sauvage, qui semble hanté par les secrets du passé. Cet environnement oppressant reflète les tourments intérieurs de Willow et le climat de suspicion et de peur qui règne en Irlande.

« Water » est un roman dense et complexe qui explore les profondeurs de l’âme humaine. C’est une lecture incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à l’Irlande contemporaine et aux thèmes universels de la culpabilité, du pardon et de la rédemption.

John le Carré, L’héritage des espions : commencer par la fin

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Commencer l’œuvre d’un auteur prolifique comme Le Carré par la fin, c’est une drôle d’idée, et peut-être aussi une manière de se rassurer sur le fait que sa thématique centrale sur l’espionnage est / ouest pendant la guerre froide reste pertinente 40 ans après la fin de cette même guerre froide. En résumé : oui, cela reste pertinent, car le thème n’est pas l’espionnage ni la guerre froide, mais tout simplement l’histoire, les personnages, la psychologie humaine ; bref ce qui fait l’étoffe de la littérature depuis des siècles. 

L’intrigue et les personnages de L’héritage des espions couvrent une large période : les années 30, la 2nde guerre mondiale, la guerre froide, la chute du mur, et “nos jours”. En jouant avec une ligne de vie assez longue de Peter Gillam, son personnage principal, John le Carré tresse une fresque historique impressionnante; et c’est d’ailleurs un des thèmes principaux que les valeurs, les motivations, le sens de nos actions qui évoluent grandement sur une si longue période. 

Dans ce livre, l’art de Le Carré est d’une part celui du dialogue, avec de longues séances d’interrogatoire, mais plus originalement un art du rapport. Une bonne moitié du livre est constitué des rapports, compte-rendus, courriers écrit dans le cadre des opérations évoquées. C’est parfois raide et lourd, mais Le Carré sous-tend tout cela de différents niveaux de lectures, de rapports contradictoires, de déclarations différentes; bref rien n’est ce qu’il semble être, tout est complexe, un secret en cache souvent un autre, et finalement on ne sait jamais trop où on en est. Malgré tout, le style est impeccable, élégant, précis, pointu, plus élaboré, plus juste que je ne l’aurais cru. Espionnage ne veut pas dire moins disant littéraire. Précisions que la traduction de “A legacy of spies”, impeccable elle aussi, est due à Isabelle Perrin. 

As photographic setting for picture story of British spy-thriller writer David Cornwell, shown on dark rainy street, looking suitably furtive in spy manner. (Photo by Ralph Crane/The LIFE Picture Collection/Getty Images)

Le Carré a aussi un talent pour camper des personnages – talent magnifié par la lecture de Vincent Schmitt, puisque j’ai écouté ce livre sur Audible – , et j’ai un faible particulier pour Bunny, le juriste du Cirque, tout en fausse décontraction, en feinte amabilité, en circonvolutions oratoires, assez jouissif. 

Je suis conquis. Ma seule question maintenant : par quel bout aborder le reste de cette œuvre riche et touffue ? 

Jonathan Coe, Billy Wilder et moi

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J’avais un peu tardé pour lire Le coeur de l’Angleterre de Jonathan Coe et l’avais un peu regretté; je me suis donc jeté sur son nouveau roman, « Billy Wilder et moi ».

L’inspiration est fort différente : on passe de l’évocation de l’Angleterre contemporaine, à un hommage au réalisateur Billy Wilder, par le biais de la jeune Callista, qui le rencontre par le plus grand des hasards à Hollywood et quelques mois après accompagne un peu le tournage de son dernier film Fedora, en Grèce; sans rien connaître – au moins au début – au milieu du cinéma, à la vie de tournage, et à l’aura du cinéaste.

Ceux qui apprécient l’art de Jonathan Coe apprécieront sûrement ce court roman, d’un peu moins de 300 pages. Le personnage de Callista est charmant, pétillant; son ingénuité apporte beaucoup de fraîcheur au roman, et les allers et retours entre hier et aujourd’hui permettent quand même à Coe de distiller quelques remarques sur l’air du temps, le temps qui passe et les enfants qui s’en vont.

Mais le vif du sujet reste bien sûr l’évocation de Billy Wilder, dont on comprend vite que Coe est un admirateur éperdu et un spécialiste de la vie et de l’oeuvre. Le choix de ce moment particulier dans sa carrière, son avant dernier film, qu’il n’avait pas réussi à monter à Hollywood et qu’il a dû faire financer en Europe; le retour de l’Autrichien Wilder en Allemagne; la relation de travail entre Izzie et Billy; tout cela Coe le même en scène de manière élégante, convaincante. Mais c’est un peu le souci du livre : on a l’impression que Coe a habillé un essai, pas inintéressant, sur la fin de la carrière de Wilder, le moment où il est devenu has been, sous la forme d’un roman; et que si certains personnages sont bien troussés, d’autres sont plutôt des prétextes; et les nombreuses et longues scènes de table l’occasion de narrations sur le passé parfois un peu indigestes.

Cependant, ce qui sauve le livre, c’est Callista elle-même. Coe arrive à donner à ce personnage qui aurait pu être artificiel et un peu léger une vraie personnalité attachante, une vitalité; mais aussi un recul sur les choses et sur elle-même, qui emporte le lecteur à la découverte du crépuscule d’un géant du cinéma dont il faut bien dire qu’on ne connaissait pas grand chose. C’est peut-être même un regret, on aurait finalement voulu en savoir un peu plus sur la carrière ultérieure de Callista musicienne, sur sa vie à Londres aujourd’hui…

Néanmoins, mission accomplie : à la fin du livre, on n’a qu’une envie : trouver en ligne une version de ce Fedora pour voir vraiment ce qu’il en était !

Ils en parlent aussi : Wilfried Bredel sur le site Bruit Blanc, Santiago Artozqui sur le toujours pertinent En attendant Nadeau.

Impressions et lignes claires : un livre de circonstances

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Rarement un titre aura aussi bien résumé un livre, chose rare dans la sous-catégorie du « livre politique », où l’on a plutôt droit à des slogans (« Révolution »), des formules vagues (« La France pour la vie ») ou des citations inspirantes (« C’est en allant vers la mer »…, les aficionados de Jaurès et Fabius auront bien sûr complété par « que le fleuve est fidèle à sa source » !).


Edouard Philippe et Gilles Boyer surprennent déjà en utilisant ce « nous » pendant tout le livre, qui ne cesse d’étonner voire de gêner. Qui parle vraiment ? Qui est ce nous ? On sait bien que les 2 compères ont déjà écrit ensemble et que cela nécessite une communion de points de vue parfois délicate; mais après 3 ans de mandat de premier ministre, fallait-il vraiment revenir à ce collectif ? N’est-ce pas une manière de noyer des points de vue parfois tranchés derrière un écran de fumée ? Ou au contraire de montrer l’extrême modestie et humilité d’un ancien Premier Ministre qui continue à écrire en duo..?

Admettons quand même. Le livre revient en partie sur des « impressions », moments forts de la période Matignon des auteurs, dont certains paraissent déjà si lointains, et qui ont un fumet de plaidoyer pro domo plus que distinct. Ainsi, les considérations sur Notre Dame des Landes, si elles passionneront peut-être les historiens politiques et les spécialistes de la décision publique, sont un peu hors sujet et on avait oublié que c’était un dossier qui avait été tranché, après quelques dizaines d’années, au début du mandat.


Paradoxalement, on appréciera aussi que le livre reste fidèle à la ligne conduite des 2 compères, à savoir de ne pas restituer les échanges avec le Président de la République. Les amateurs de confidences, de ragots politiques et de bruits de couloir seront déçus; mais c’est chose suffisamment rare que d’avoir une certaine idée de la dignité en politique pour qu’on la souligne avec joie, même si en conséquence le livre manque de croustillance.


Enfin, c’est sur les « lignes claires », c’est à dire la défense de certains points de vues ou idées, que le livre est le plus convaincant. La première et la plus importante étant le défense de la fonction de Premier Ministre – le contraire aurait étonné, mais l’argumentation est belle et forte, et mérite d’être entendue.


Au global, comme tous les livres politiques ou presque, c’est un livre de circonstances, fait pour peser dans les débats du moment, pour marquer un positionnement, pour justifier un plan media et une tournée des librairies de provinces; il ne fera cependant pas date, notamment en raison de sa composition de bric et de broc où manque une ligne directrice, une structure claire, ce qui ne semble pas avoir été le souci des auteurs.


Comme par un fait exprès, sort aujourd’hui dans Le Monde cet article sur la vague des livres politiques, à attendre dans cette année électorale… https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/05/30/l-art-de-publier-des-livres-politiques_6082076_3260.html

Ohio, de Stephen Markley : un roman âpre et fort

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Il y a des livres comme ça, on ne sait pas trop pourquoi, auxquels on s’accroche, malgré les plus de 500 pages, malgré le nombre un peu trop élevé de personnages, malgré un thème pas forcément aimable ni dans ce qu’on aurait envie de lire.


Non, « Ohio » n’est pas un roman aimable, ni une lecture facile. Le premier roman d’un auteur américain plutôt exigeant, un livre dense, le portrait d’une génération de trentenaires déboussolés, qui a grandi avec le 11-Septembre et a porté Trump au pouvoir. Oui, on fait plus riant comme perspective de lecture.Et pourtant, on s’accroche dès les premières pages. On est intrigué par ce défilé pour l’enfant du pays, Rick Brickman, qui vient de mourir en Irak, et en mémoire duquel sa ville de New Canaan organise une marche, sauf que rien ne va dans cette marche. Elle se déroule sous la pluie, tout le monde est pressé d’en finir, le cercueil est vide, ses amis proches qui auraient dû être présents ne le sont pas, ceux qui prennent la parole ne savent pas vraiment quoi dire. On est directement plongé dans une ambiance étrange, faite de non-dits, de personnalités abruptes, de secrets plus ou moins inavoués, et d’excès en tous genre.


Après cette séquence inaugurale, l’auteur déploie son propos en s’intéressant à 5 jeunes qui ont grandi à New Canaan au début des années 2000, et qui tous y reviennent aujourd’hui pour une raison ou l’autre; et ces histoires croisées racontent donc l’Amérique des trentenaires désabusés des années Trump. On se souvient alors que l’Ohio était un des swing states dont la bascule imprévue du côté Trump avait fait basculer l’élection de 2016.


On croise d’abord dans ces 5 histoires, d’assez grande forme, proches de la novella, Bill Ashcraft, ancien volontaire d’une campagne d’Obama et militant de beaucoup de causes progressistes, qui peu à peu a sombré dans la drogue, et qui revient à New Canaan pour une mission glauque et mystérieuse. Pendant la nuit, avec moult rebondissements, il va croiser beaucoup des protagonistes de son adolescence et on commencera à faire connaissance avec les intrigues et relations troubles entre ces jeunes il y a plus de 10 ans.

Puis on va s’intéresser à Stacey Moore, qui avait fui la ville après ses études au lycée, avait accepté à l’université son homosexualité, et revient là aussi dans sa famille explorer les fantômes de son passé. Après la partie plutôt lourde de Bill Ashcraft, le récit de Stacey est plus léger, plus optimiste, même si toujours sombre. On enchaîne avec Dan Eaton, qui lui avait quitté la ville pour devenir soldat, et l’on plonge dans le traumatisme des guerres du début des années 2000 pour la jeunesse américaine, à la fois sur les théâtres d’opération, et de retour au pays par la suite.Avec la partie « Tina Ross », on commence à mieux cerner l’architecture du livre, car il y a une sorte de mystère non-dit autour duquel tournent toutes les parties et qui se précise peu à peu à l’évocation de l’adolescence troublée de Tina et de son histoire sentimentale et sexuelle passionnée et glauque à la fois.Le livre s’achève sur l’histoire de Lisa Han, le personnage que tous avaient plus ou moins évoqué jusque là, et qui permettra aux nombreuses intrigues de se dénouer, avec, on l’aura compris, un goût amer et bilieux dans la bouche.


Pourquoi s’accroche-t-on à la lecture de ce livre ? D’abord par la force du style, la puissance d’évocation, la force des destins et des histoires que Markley convoque. Par la longueur des chapitres consacrés à chacun, on ne fait pas qu’effleurer une histoire parfois rude ou choquante, mais on en comprend l’évolution, les détails, les motivations; et l’on se dit qu’une série, ce à quoi la structure du livre fait parfois penser, aurait bien du mal à aller autant en profondeur dans la psyché des personnages. La multiplicité des points de vue convoqués par l’auteur permet aussi de revenir sur les mêmes événements ou les mêmes entourages mais avec une perspective différente; et si cela est parfois exigeant en termes de suivi, cela enrichit encore le matériau narratif du livre.

Enfin, la structure autour du mystère du « Meurtre qui a jamais existé » se dévoile peu à peu, et on est admiratif devant la mécanique fine mise en place; la fin du livre bascule dans un récit plus proche de l’enquête policière qui relance la lecture et permet une séquence finale dont on se souviendra sans doute longtemps après la lecture.

Le cœur de l’Angleterre, quand le roman transcende le Brexit

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Depuis plus de 20 ans, Jonathan Coe est l’écrivain quasi officiel qui chronique l’Angleterre d’aujourd’hui (on se demande un peu ce que fond les autres et pourquoi lui y réussit si bien). Son dyptique remarqué du début des années 2000, Bienvenue au club / Le cercle fermé, chroniquait avec brio l’Angleterre des années 70 puis celle des années Blair, par le biais d’un groupe de personnage centré autour de la famille Trotter. Enfin, quand on dit avec brio, c’est un euphémisme, c’était plutôt un carton mondial qui a fait de lui une star internationale des lettres.

Autant dire qu’avec le feuilleton du Brexit, l’occasion était trop belle; la tentation a été trop grande pour lui de reprendre la plume et de faire revivre ses personnages pour s’interroger sur ce qui avait bien pu arriver à l’Angleterre des années 10. Il a bien fait ! Certes, on s’inquiète un peu dans les premières pages d’effets un peu appuyés, de remarques convenues et soulignées de certains personnages sur les sujets du nationalisme, de l’identité anglaise ou de la présence d’étrangers dans le pays. On a peur du roman à thèse; de personnages plus créés pour incarner un concept, une idée, une attitude, que pour leur pertinence quant à la trame ou leur richesse.

Et puis on se laisse prendre par l’art du roman de Coe, toujours intact; et l’on se rappelle pourquoi ses livres sont si aimables, si convaincants, si émouvants. Quelques séquences de bravoure emportent rapidement le morceau. Le chapitre sur la cérémonie d’ouverture des JO de Londres par exemple, ou celui sur les rencontres au restaurant de la jardinerie Woodland, ou encore sur la croisière sur la Baltique font preuve d’une finesse psychologique, d’un sens de l’observation, d’un art littéraire consommé. Et toujours cet humour anglais toujours teinté de sentiments. On se passionne pour la romance entre Sophie, l’universitaire intello et Ian le moniteur d’auto-école. On suit les rendez-vous quasi clandestins et presque farfelus entre Doug, l’éditorialiste travailliste, et Nigel, le dircom adjoint de David Cameron. On suit avec tendresse l’aventure littéraire de Benjamin, et sa rencontre parfois cocasse avec un certain succès. Et, tout autour d’eux, une galerie de personnages secondaires savoureux, de péripéties banales et touchantes, de petites victoires et de défaites rageantes; d’émotions amoureuses et de déceptions cuisantes; bref, la vie quoi.

Et, au milieu de tout ça, parce qu’il faut bien un contexte, un pays qui doute de lui même, s’interroge et se déchire, se demande qui il est; dont les dirigeants semblent peiner à comprendre les aspirations, et dont les habitants ne sont pas vraiment sûrs de ce qui se passe et de ce qu’il convient de faire. ça paraît effroyablement proche de nous; et pourtant c’est bien de l’Angleterre pré et post Brexit dont on parle. Jonathan Coe réussit se prodige de nous faire sentir que, quelque part, nous sommes tous des Anglais du temps du Brexit.

On apprécie aussi, dans la construction, que toute la 3ème partie se déroule après le Brexit, qui n’est donc pas le point de convergence de toute l’intrigue, mais plutôt un catalyseur, alors que les personnages gardent leur mouvement propre. On pourrait presque dire qu’ils sont tous, à leur manière et quoi qu’ils en pensent, plus forts que le Brexit. Et puis, de temps en temps, comme dans ce chapitre magique où un frère et une sœur répandent des cendres au milieu des collines de leur enfance, ou dans le monologue intérieur d’un clown pour enfants qui rate sa carrière, l’émotion nous étreint, un point d’équilibre subtil et délicat entre intrigue, émotion et style et atteint; et on se dit que l’art de Coe est parfois suprêmement convaincant. Du très beau travail.

Sandro Veronesi, Le colibri : quand la mayonnaise ne prend pas

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On rentre facilement dans le nouveau livre de Sandro Veronesi, Le colibri. Le personnage principal est attachant, et l’on se repère rapidement dans les différentes époques de sa vie qui structurent le récit en courts épisodes, de style différent. La scène d’introduction est une franche réussite, et donne envie de se plonger dans la structure éclatée du livre. C’est sans doute en cela que le livre est un peu construit comme une série, on lit les séquences de 10 minutes qui constitueraient assez directement les 6 à 8 épisodes d’une série Netflix. Il y a de l’amour, de drame, des anecdotes, des repères, des rituels, des moments choc, des tranches de vie…Les allers et retours entre les personnages et les époques sont constants et agréables à lire.

Sandro Veronesi

Et pourtant la mayonnaise n’a pas pris pour moi. Le style est trop hâché et trop divers pour être convaincant. Les personnages manquent de consistance, d’épaisseur, pour être autre chose que quelques idées assemblées (que sait-on vraiment du frère Giacomo par exemple ?). L’amour fou et impossible qui est censé traverser sa vie n’est pas vraiment crédible ni incarné, et l’on s’ennuie rapidement à la lecture de leurs lettres enfiévrées. Evidemment, il y a de beaux passages (le chapitre sur les revues Urania du père), des personnages plus réussis que d’autres (les différentes interactions avec le docteur Carradori); mais aussi pas mal de passages maladroits, peu crédibles, ou simplement peu intéressants; et cela n’est pas rattrapé par un style finalement assez banal. Quant à la conclusion futuriste, elle rappellera celle de Vernon Subutex 3, mais sans convaincre pour autant. On pourra passer son tour.

Dans l’échange du Masque et la Plume à son sujet, je suis donc clairement du côté d’Arnaud Viviant, Jean-Louis Ezine et Frédéric Beigbeder

Quand The Economist passe McKinsey à la sulfateuse

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C’est l’article qu’on ne s’attend pas à lire. The Economist, le journal de référence mondial des milieux économiques, n’est pas vraiment suspect de gauchisme ou d’anti-capitalisme primaire. Ils n’ont rien contre les consultants, ou les banques, ou les start-ups, mais en dissèquent numéro après numéro les débats, les enjeux, les perspectives.

photo Middle East Monitor

Cet article, qui attaque avec une rare violence une entreprise spécifique, est vraiment étonnant. A l’occasion de la révocation par ses pairs du patron de McKinsey, Kevin Sneader, le journal estime que l’entreprise souffre de « délire collectif », que ses employés sont « les plus suffisants de la place », et que, malgré les 575 millions de dollars que la firme va payer pour sa responsabilité dans la vague d’overdoses liées à la promotion des opioïdes et notamment de l’OxyContin aux Etats-Unis, aucune démarche de prise de recul n’est réellement enclenchée par une direction qui se voit plus comme des « missionnaires » que des « mercenaires », alors que selon le journal que la réalité est bien plus prosaïque.

Kevin Sneader, futur ex boss de Mc Kinsey. Photo Hemant Mishra / Mint

On pourra aussi faire un lien avec l’article du Monde du 5 février dernier, qui s’étonne de la présence de McKinsey dans la détermination et le déploiement de la stratégie de vaccination en France, et fait aussi la lumière sur les liens qui peuvent exister entre stratégie politique et intervention de « La Firme »…

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