Amok mon père, le premier roman de Gurvan Kristanadjaja, nous plonge dans une histoire familiale aussi singulière qu’universelle. Né en Allemagne d’une mère bretonne et d’un père indonésien, l’auteur nous livre le récit de ses drôles de retrouvailles avec son père, qui avait quitté sa famille en 1995.
Le thème abordé est à la fois commun et exceptionnel. Commun, car il s’agit de l’histoire d’un homme qui part ; exceptionnel, car, comme le dit l’auteur, se marier avec un Indonésien à Brest dans les années 90, c’était comme épouser un extraterrestre.
L’attachement que l’on ressent pour ce livre provient de multiples facettes : le style narratif, la structure de l’œuvre, l’approche personnelle de l’auteur, la richesse des personnages et les réflexions profondes qu’il suscite.
Le style de Kristanadjaja, bien que façonné par son expérience journalistique, est empreint d’une élégance naturelle. La narration est fluide, l’expression est précise, enrichie par un souci du détail, un talent pour le dialogue percutant et des descriptions particulièrement vivantes de l’Indonésie.
La structure du récit est astucieuse, alternant entre différentes époques qui s’éclairent mutuellement, offrant ainsi une vraie progression de l’intrigue et une compréhension approfondie des événements; il faut bien avouer que les péripéties du séjour indonésien de l’auteur sont nombreuses et plaisantes.
L’attitude de l’auteur, celle d’un fils à la fois rebelle et en quête de son père, oscille entre audace et hésitation. Nous découvrons l’auteur à divers moments de sa vie, confronté à des interrogations changeantes et à des perspectives variées sur sa relation avec son père.
La galerie de personnages est à la fois paradoxale et attachante. Paradoxale, car on peine à croire que l’auteur puisse inventer des histoires sur sa propre famille, et pourtant, chaque personnage, avec son caractère bien trempé, nous devient cher : une mère courageuse au grand cœur, un frère aîné très proche, une grand-mère prête à sacrifier un voyage tant attendu, une tante énigmatique et complice, un cousin artiste et rebelle. Quant à Dani, le père, il reste difficile à cerner et à comprendre, tout comme pour son fils, jusqu’à une conclusion aussi sévère qu’inattendue.
En toile de fond, la question de l’identité métisse, la relation avec les deux cultures, est abordée avec finesse tout au long du récit. L’auteur partage également son évolution personnelle sur ces thèmes, conférant au livre une dimension initiatique des plus agréables.
En somme, malgré quelques petites maladresses stylistiques, Gurvan Kristanadjaja nous offre un récit touchant, empreint de pudeur et de simplicité, qui transcende le cadre personnel pour embrasser des questions plus larges avec une grande finesse ; du très beau travail.